Scandaleuses

de Jean Marie Piemme

La pièce raconte 4 femmes, Anna, Olga, Sonia, Lula.

Anna est une actrice vorace, "une femme qui parle à son corps et qui aime tout ce qu'on lui fait", mais aussi une sauterelle qui grelotte quand vient le soir, au bord des larmes.

Olga est sa confidente soumise, toujours derrière la porte, celle qui l'habille et la déshabille, celle qui guette, celle qui attend.

Sonia est la fille d'Anna, que le chagrin défigure et qui voudrait "simplement regarder le ciel et dire : les journées sont paisibles"

Enfin Lula, en qui dorment les démons, "une petite gueule de rapace" prête à tout pour être chaque jour une autre.

Il y a enfin un homme sans nom, sans prénom, qui veille au bord du fleuve et que le désir fait pleurer.

Il y a la nuit enfin, où l'on chasse, où l'on croise, où l'on blesse, où l'on jouit , la nuit où l'âme et la chair découvrent "qu'aucune passion n'est douce, qu'aucune passion n'est propre".

 

Avec HENRY Pascal               L’homme du nord

POMES Nadine                     Lula

SCHNUR Pascale                  Olga

Noelle Scotto di Rosato      Anna

Thi Truong.                    Sonia

Costumes                                  Claudie LACAZE

Régie Son Lumière                       Françoise KALENITCH

Conception costumes, affiche, programme    Philippe GUINI

Réalisation programme                        Thi TRUONG

***

RETOUR sur la page des productions du TPC ou continuez

***

D'autres photos

 

Le mot du metteur en scène Philippe Guini : Lecture de la Fable

Anna est une vraie actrice, qui ressemble aussi à celles qui ne le sont pas et lui ressemblent. Elle cherche l’homme qui cherche la femme. En vain. L’un et l’autre échouent. La proximité nourrit l’incommunicabilité. Et seuls les simulacres accomplissent les actes que le sens pluriel des mots libère de l’imaginaire. C’est depuis cet imaginaire qu’elle interpelle l’homme qui l’assouvit. En ce lieu peut-être. En ce lieu seulement.

Sa réalité de chair et de sang atteint et dépasse les limites dans le/les récits qui l’exprime à travers les corps multiples de la femme : son être multiple. Anna l’entité est aussi Anna Olga Sonia Lula Anna. Elle est toutes et clame sa différence : « Ce soir, je veux être exceptionnelle. Je veux écraser le public… Le voir raidi d’admiration pour ce que je lui fais… Je veux lui parler dans la bouche, lui lécher la salive, l’occuper tout entier comme la pire des armées en territoire conquis…. »

C’est peut-être la dimension de « aucune passion n’est douce, aucune passion n’est propre. »

Olga, la servante au sens plein, déborde la confidence. Elle aime Anna. Elle l’aime comme si elle faisait partie d’elle. Elle brûle le souvenir de ses amours de l’homme, pour elle. Elle se sacrifie. Du miroir, elle n’est que le tain. Elle absorbe Anna. Elle est geôlier pervers qui nourrit sa recluse afin qu’elle vive, afin qu’elle demeure.

« Tu habites sa peau. Tu écris toutes ses nuits » dit Sonia, de même que « tu la nourris comme une mère qui prendrait plaisir à l’agonie de son enfant. » L’homosexualité est ici évidente au regard superficiel. Elle est ambiguë, sinon fausse, quand Olga ne serait que tendance de l’entité Anna. Le « bourreau » et la « victime » comme sado-maso ou simplement humain.

Sonia est la pureté incarnée, fragile et déterminée. Elle est ce temps, ce lieu où rêve et réalité sont indistincts. L’infrastructure sociale, bien qu’imprécise, serait la voie aliénante qui la conditionne, et qui affirme l’indépendance et la libération de la femme. Cependant, volonté et velléité tanguent lors de la confrontation avec l’homme. « … Certains jours, je lèche mes bras, je mordille mes poignets parce que je les aime. Je ne veux pas qu’on me prenne n’importe comment ! »

Sonia : « Je suis la mère de ma mère. Je suis fatiguée de porter un enfant pareil. Je l’abandonne. » Elle est sa mère. Elle hait sa mère. Elle est sa fille. Autant de possibles qui inscrivent Sonia dans l’entité Anna, comme individualité, exemplaire, rebelle, spécifique mais virtuelle.

Lula est l’admiratrice fan et cannibale. Homosexuelle inévitable, rivale attitrée, fortunée essentiellement pécuniaire, elle tressaute d’opportunisme en lapalissades. L’excès de soumission ternit sa brillance. Monture d’apparat, conquérante de cabaret. A l’inverse du paon, elle montre mais ne fait pas la roue. Elle est de l’entité, l’individualité, incarnation démoniaque et destructrice.

Olga, Sonia et Lula, à travers leur singularité, pourraient chronologiquement être pour Anna : qui le gardien et oppresseur, qui le rédempteur, et qui sa déchéance.

L’homme du Nord : le lien géographique est-il volontairement égnimatique, ou présage-t-il le dernier lieu de sa survivance de sa fossilisation, en devenir ou devenue. Il est néanmoins aux abois, il rôde, il affleure, quelques fois effleure. Une fois, il remonte transcendé et franchit un autre Rubicon, mariant le mysticisme au charnel qui, dans l’initiation, s’irréalise. Ainsi la totalité humaine physique ne s’accomplit qu’à l’insu du réel. Et aux aboiements ininterrompus de l’homme « L’Eternité et un jour », répondent les hurlements funestes du chien. Le conquérant déchu cède alors la place au BCBG acculé à l’outrance représentative, apparemment ou arbitrairement indispensable à sa survivance et/ou à sa coexistence, à défaut de quoi peut-être, se réfrigérerait-il inévitablement.

Juin 1999.

 ***

L'auteur : Jean-Marie PIEMME

Jean-Marie PIEMME est né en 1944, en Belgique. Après des études de lettres à l’Université de Liège, il part à Paris suivre des études théâtrales à la Sorbonne. Là, il rencontre Bernard DORT, et conséquemment, comme il dit, Bertholt BRECHT. Il revient ensuite à Liège pour soutenir une thèse de doctorat qui sera publiée en 1974 sous le titre La propagande inavouée.

Il exerce entre autres une activité de dramaturge auprès de nombreuses compagnies belges subventionnées. C’est en 1986 que paraît Neige en décembre, sa première pièce créée à Liège. A ce jour, il a écrit plus de vingt pièces. En 1992, il obtient le prix des nouveaux talents de la Société des Auteurs Compositeurs Dramatiques français.

Les textes dramatiques de Piemme sont de l’ordre de la densité plutôt que du friable, plutôt compacts que vaporeux. Piemme n’écrit pas au fil de la plume, il concasse et martèle. Car au moment où tant d’écrivains font du bruit sans savoir gueuler, Piemme gueule sans faire de bruit ; je veux dire par-là que Piemme accomplit l’écriture comme une traversée politique du corps, si nous entendons politique comme ce qui octroie ou refuse un corps à l’être.

Cette densité, c’est la métaphore qu’il installe parfois jusqu’à l’aphorisme, c’est aussi le sens qui abonde et déborde de chaque réplique, comme si le personnage en savait plus sur lui-même qu’il n’est habituellement donné à un être d’en savoir sur soi et sur le monde. Le discours de l’auteur traverse le personnage : il le constitue et en même temps l’excède.

Le personnage est le cristallisateur de quelque chose qu’on pourrait dire sur ou de lui, avec des effets qui excèdent ce que sa capacité sociologique pourrait comporter comme capacité à dire. Cela posera toujours deux questions essentielles à ceux qui s’empareront des textes de Piemme. Quels acteurs choisir pour incarner ce trop-plein et quel temps déployer sur le plateau pour laisser le texte s’étendre dans sa plénitude ?

Piemme, l’écrivain, cherche dans les corps à première vue quotidiens, l’empreinte de l’Autre, la trace toute nue de l’Altérité. Il ne cherche pas de justification morale à cette altérité bien/mal, fort/faible. A la psychologie, toujours prête à revendiquer la meilleure place dans l’homme, et tout spécialement dans « l’homme théâtral », Piemme oppose la rupture, l’éclatement ou la dispersion du sens ou de l’être, et par cette exposition des oppositions, il créée des personnages qui atteignent au mythe, créatures surdimensionnées qu’il va faire évoluer, parfois, dans le réel le plus plat, faisant ainsi se côtoyer l’intelligence la plus aiguë et l’obscénité la plus directe, jusqu’à la confusion totale.

Ce trouble est le prix à payer pour donner vie à ces cadavres dont la presse se repaît. Et cette vie, c’est d’abord un corps fragmentaire qui cherche à se dire. L’écriture est polyphonique et conflictuelle…

D’après Jean-Christophe LAUWERS et Benoît VREUX.

Extrait d’Alternatives Théâtrales n°43, Avril 1993.Benoît

Il commence à écrire en 1986 et a publié depuis plus de 20 pièces. Il a reçu de nombreux prix, dont le prix "nouveaux talents" de la SACD française. Il réside régulièrement à la Chartreuse de Villeneuve les Avignon, centre d'écriture contemporaine de théâtre.

"Scandaleuses" a été écrite en 1994 et jouée cette année-là à Avignon pour le festival.

Au CCO de Villeurbanne, les 3, 4, 5, 8 et 9 juin 1999 à 20 H 30.

***

RETOUR sur la page des productions du TPC