Scène imaginaire du chapeau

Avec les amis de la distribution, nous avons longtemps discuté sur le thème de la motivation de Jean Moulin et nous avons constaté qu’il n’y a pas de réponses simples.

On peut noter le fort engagement de Jean Moulin contre le fascisme dès la journée d’émeutes du 6 février 1934, puis son action, soulignée dans la pièce, comme contrebandier pour les livraisons d’armes à la République Espagnole.

Alors nous avons imaginé la scène qui suit, en partant du fait historique de la photographie immortelle de Jean Moulin en chapeau, prise par son ami, en octobre 1939. Cette scène n’a pas été incorporée dans le texte joué et n’engage donc pas l’auteur.

Grand rire franc de toute la tablée. C'est un frais dimanche d'octobre 1939
Il y a Jean Moulin, préfet de Chartres depuis Février 1939, sa mère, sa sœur, son ami d'enfance Marcel Bernard et une vague jeune cousine amoureuse de Jean ,le beau cousin qui a réussi. 
Tout le monde donne l'apparence d'être heureux..

Blanche :   Allons, Jean prends encore un peu de civet, tu ne vas pas me dire qu'ils savent aussi bien le faire à Chartres.

Laure : (En riant gentiment) Et puis cela t'aidera à finir ton vin !

Jean Moulin : Laure ! Laure ! toujours aussi taquine ! Malgré mes 40 ans sonnés, tu continues à vouloir me convaincre que le bon vin ne fait pas de mal.

Cousine :

Jean a raison, l'alcool, c'est dangereux, je l'ai lu dans mon magazine !

Marcel Bernard :

(Un peu tristement) S'il n'y avait que l'alcool de dangereux.

Blanche :

Allons, mes enfants, ne dites pas des choses tristes, je suis si heureuse de vous avoir tous avec moi, si le père était là...(Elle essuie une larme discrète)

Laure :

Alors dis-moi, Jean, comment sont tes nouveaux administrés ?

Jean Moulin :

Ce sont de bons patriotes, ils aiment la France naturellement, comme une bonne sœur aime son frère ! (À son ami) Au fait, Marcel, tu m'avais parlé de ton nouvel appareil photographique, est-ce que tu l'as avec toi ?

Marcel Bernard :

C'est qu'aujourd'hui, j'ai un peu peur d'en parler ; un appareil ...allemand !

Jean Moulin :

Diable ! A-t-il, lui aussi, prêté serment à Hitler? (Rires des deux amis)

Marcel Bernard :

(Il sort son appareil) Je l'ai acheté au début de l'été, avant la déclaration de guerre, objectif de précision Zeiss, léger, maniable, l'outil idéal pour des photos rapides en plein air.

Cousine :

Vous faites des photos comme Man Ray ?

Marcel Bernard :  

Hélas, je n'ai pas son talent, ni ses amis surréalistes, André Breton et les autres.

Cousine :

Vous ne vous sentez pas bien Jean ?

Jean Moulin :

Merci cousine, mais c'est juste un peu de fatigue, cette déclaration de guerre depuis septembre, ce n'est pas de tout repos pour un fonctionnaire comme moi. Je crois que le mieux serait d'aller faire un tour sur la promenade du Pêyrou, l'air du glorieux passé de Montpellier me fera du bien. Tu viens Marcel ?

Marcel Bernard :

J'arrive ! (Il part avec son appareil)

Blanche :

Et prenez vos écharpes, il fait déjà froid !

(Jean Moulin et son ami sont maintenant sur la promenade, un temps sans parler)

Marcel Bernard :

Ta jeune cousine t'a littéralement mangé des yeux pendant tout le repas.

Jean Moulin :

Oui, elle est gentille, mais....non. Parlons d'autre chose, veux tu ?

Marcel Bernard :

Il y a quelques semaines, je suis passé vers Argelès. J'ai une amie infirmière qui m'a raconté ce qui se passe dans les camps de réfugiés républicains espagnols, j'étais très très gêné.

Jean Moulin :

Oui, tu penses bien que je sais comment ça se passe, j'ai lu des rapports des préfets, mais la police est toute puissante. Et puis avec tous ces cagoulards infiltrés, ils ne se privent pas de se venger de ceux qui leur ont fait peur.

Marcel Bernard :

Tu me fais peur, Jean. Le pays est en guerre et il n'a jamais été aussi divisé, comment crois tu que les choses vont tourner ?

Jean Moulin :

Tu es bien placé pour savoir que je ne crois guère aux devins. Mais tu as raison, ces pauvres républicains entassés, cela me fait mal. Je me souviens de mon émotion quand Labarthe est venu en Août 36 dans mon bureau, m'expliquer les horreurs de la guerre et du putsch de Franco. J'ai alors décidé de tout faire pour aider le gouvernement dans son action pour livrer des armes à la République.

Marcel Bernard:

Mais c'est Blum qui a accepté la non intervention.

Jean Moulin :

Je ne suis pas un politique, je ne suis pas un élu, mais un fonctionnaire de la République, je n'avais pas à prendre position en public.

Marcel Bernard :

Alors c'était perdu d'avance ?

Jean Moulin :

Non, rien n'est jamais perdu d'avance.(Un temps) Et si nous avions fait plus, peut-être que oui, alors oui, peut-être que nous aurions pu contenir les Hitler et les Mussolini et éviter la guerre, cette drôle de guerre...

Marcel Bernard :

Et Monsieur Staline dans tout ça ?

Jean Moulin :

C’est vrai qu’il a fait livrer des armes aux républicains, mais pas assez pour leur permettre de mener une offensive militaire. Et puis, le nombre de républicains sincères qu'il a fait fusiller sur place avec son Guépéou, cela a beaucoup aidé Franco.

Marcel Bernard :

Mais ton patron Cot ne semblait jurer que par l'amitié franco-russe.

Jean Moulin :

Oui, et aujourd'hui, tu vois où nous en sommes, le pacte germano-soviétique, la Pologne envahie et dépecée, Franco triomphe, Hitler se pavane en Autriche et la France chante avec Maurice Chevalier, comédie funeste !

Marcel Bernard :

Écoute Jean, tu ne pouvais pas renverser le cours de l'histoire tout seul, il faut être réaliste.

Jean Moulin :

Réaliste ! Je n'ai fait que cela, d'être réaliste ! Moi, fonctionnaire irréprochable, j'ai fait le contrebandier d'armes pour les républicains espagnols pendant presque trois ans, avec mon ami Cusin, le syndicaliste CGT. Et quelque chose me dit que l'histoire n'est pas finie. Mais je ne sais pas, la fatigue sans doute !

Une jeune femme élégante passe en courant et heurte Jean Moulin, son chapeau roule au sol, Jean Moulin et la jeune femme se penchent en même temps, trouble de quelques secondes pendant lesquelles tout est possible entre un homme et une femme, mais...

Jeune Femme :

Excusez moi, Monsieur, mon fiancé m'attend à la gare, il est en permission.

Jean Moulin :

Je vous en prie (il prend son chapeau, elle part et se retourne une dernière fois pour voir le bel inconnu)

Marcel Bernard:

Diable, elle t'a....fusillé du regard!

Jean Moulin :   

Tant qu'il ne s'agit que d'un regard et pas d'une balle perdue...

Marcel Bernard :

À propos, mets toi là contre l'arcade, dos au mur, c'est le bon moment pour une photo, le soleil est parfait.

Jean Moulin :

(Il enlève son chapeau) Fusillé du regard, dos au mur, quel langage martial !

Marcel Bernard:

(Il commence à prendre des clichés) Arrête tes bêtises et laisse le photographe agir. Voilà, un peu de côté s'il te plaît, voilà parfait. Ah, il m'en reste encore une ! Avec le chapeau cette fois, cela fera très Bogart.

Jean Moulin :

Oui, mais moi, je ne fume pas ! Tu n'as pas peur pour les ombres, à cause du chapeau ?

Marcel Bernard :

Les ombres mettent en relief les grandes choses ! 
(Sourires des deux amis et fin de la scène)

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